E.lizabeth Crowne

Biographie

17 avril 1904, jour de pluie sur Aberystwyth, Pays de Galles.
«Chéri, il arrive.» Et le bébé arriva. Ce fut une mignonne petite fille, au léger dam de son père Dylan qui aurait préféré un garçon pour assurer une descendance certaine pour le nom Crowne; mais pour le plus grand plaisir de sa mère Alana. Un nourrisson calme, bien proportionné, doté de cheveux clairs, normal en somme. Il l'était bien, jusqu'au moment où la toute jeune Elizabeth, prénom choisi en référence à la grand-mère anglaise de Dylan Crowne, ouvrit les yeux. Sous ces minuscules paupières rosées, se trouvaient des iris pourpres tirant au violet, bien plus grands que ceux escomptés. Essayant tant bien que mal de se rassurer, les parents se répétèrent sans cesse les mêmes choses. «Cela va partir, ne nous inquiétons point. Les yeux d'un nouveau-né ne sont pas les yeux qu'aura l'enfant plus tard».

Quelle déception ce fut lorsque qu'ils constatèrent qu'aucun changement ne s'était fait quant aux yeux d'Ellie. Vivre dans la honte d'avoir un enfant difforme, anormal ? C'était bien chose inconcevable pour la mère ! Se voir accompagner tous les jours sa progéniture devant les autres, sous leur regard, leurs rires, leurs moqueries; se voir accuser d'être la source de l'anomalie, était bien trop pour Alana. Elle pliait sans cesse sous le poids des sarcasmes, des injures envers sa fille qui elle, ne comprenait pas pourquoi tant de haine régnait autour d'elle. Assumer cela était bien trop dur pour les parents. Dylan, lui, tenait bon. Sa moitié par contre, ne put en faire autant et finit par se donner la mort. Un autre coup dur pour le pauvre père qui n'avait déjà pas désiré avoir une fille et n'avait manifestement toujours pas accusé le coup. Il en vint à éprouver un fort ressentiment pour Elizabeth, voire de la haine viscérale pour cet enfant qui avait détruit sa vie et son couple. Et elle ne comprenait pas : que ce soit l'acte de sa mère, ou bien le comportement de son père. Elle était bien trop jeune pour comprendre. Ellie aimait bien ses yeux; le violet est une couleur coquette ! Et les railleries de jeunes, très jeunes enfants n'avaient pas trop d'impact sur elle vu qu'elle était tout aussi peut âgée. Mais lorsqu'elle grandit, elle sut que ses globes oculaires ne seraient pour elle qu'un handicap. Les injures se multiplièrent et redoublèrent d'intensité. «Monstre ! Freak ! T'es pas comme nous ! Va-t'en !»; les insultes résonnaient en coeur dans sa tête, scandées par ses camarades.

Et l'amour rentra en jeu. Alors âgée de dix ans, la guerre éclata. Elizabeth était fille unique; avant de se donner la mort, Alana ne voulait prendre le risque de faire un autre enfant. Celui-là pourrait également être difforme, qui sait ? Dylan dût partir au front, laissant son indésirable fille livrée à elle-même, sans regrets. Il la confia à une sorte d'orphelinat d'enfants, où malheureusement les mentalités demeuraient les mêmes. Plongée dans l'inconnu, Ellie parlait peu, très peu si bien qu'on la prit pour une enfant muette. Mais au milieu de tous ces imbéciles se trouvait Aedd, un jeune garçon fort charmant à peine plus âgé qu'elle qui semblait, ma foi, moins cruel que les autres. La jeune fille blonde se prit d'un amour fort et solide pour lui. Elle voyait en ce garçon un chevalier servant, prêt à la défendre des autres. Vision quelque peu erronée vu qu'il se détachait des autres uniquement parce qu'il ne l'insultait pas. Et pendant des années, elle l'observait, fascinée par un être si spécial à ses yeux. Il y avait un piano à l'orphelinat. Pour combler sa solitude et son ennui, elle passait le clair de sa journée assise devant les touches, à jouer ce qui lui passait par la tête. Elle acquit ainsi un talent pour le piano. Ses notes résonnaient comme une mélodie de boîte à musique dans l'établissement.

Contre toute attente, Dylan revint du front lorsque la guerre prit fin. Évidemment il n'en sortit pas indemne; en effet il fut mutilé, amputé du bras droit. L'ex-soldat se rendit à l'orphelinat pour aller voir – à contre-cœur – sa fille. Handicapé et visiblement non content de retrouver sa très chère fille, il se contenta d'aller la voir une fois par mois, puis quelques temps plus tard, plus jamais. Âgée de dix-sept ans, Ellie se décida enfin à déclarer sa flamme à Aedd, qui la repoussa d'une voix amicale, douce; mais avec des propos qui l'étaient beaucoup moins. «A force de m'espionner, je me suis douté de quelque chose, tu sais. Ne t'inquiète pas, je t'apprécie un peu. Mais que vont en penser les autres? Moi, être avec une fille aussi étrange? Je ne pense pas que cela soit possible. Désolé. Contrairement aux autres, je veux bien faire l'effort de te regarder en face, mais ton silence est mort et me glace.», dit-il. Ellie resta dans sa chambre, sans bouger. En l'espace de quelques secondes, une multitude de pensées traversèrent son esprit. Elle haïssait désormais ces satanés yeux. Elle pensa à les éliminer. Vivre un enfer, fallait-elle pour lui plaire qu'elle aille jusque là ? Fallait-elle qu'elle saigne autant ?

Les questions ne se posèrent plus. Elle le pria d'attendre. «J'ai été tellement impressionnée par toi et tout ce que tu faisais. J'ai essayé si fort d'être comme toi. J'ai volé trop haut et je me suis brûlé les ailes à l'instant, j'ai perdu toute confiance. J'avais besoin de toi, seule ici. Où étais-tu ? Je n'attends plus de toi que tu me comprennes, dit elle. Seulement que tu m'aimes pour que je suis...». Et sans réfléchir plus, elle prit une de ses aiguilles à tricoter et se perça douloureusement les yeux avec. Peu de temps après, Ellie perdit connaissance. Plus son sang se vidait et plus la peur naissait en Aedd et grandissait. Il resta un instant tétanisé puis revint à la réalité et appela en urgence toutes les nurses du manoir. Lorsqu'elle se réveilla, le soleil ne brillait plus : fatalement, elle était devenue aveugle. Une folle dévotion avalée par l'espace d'orbites vides. Des larmes de regrets se gelèrent sur le côté de son visage. Avoir été comme les autres aurait tout changé; que la vie est injuste...

Elizabeth demanda une fois rétablie à ce qu'on l'emmène auprès du piano. Et elle joua, tant bien que mal, l'air le plus triste qu'elle n'ait jamais joué, déversant toute sa détresse dans la musique. Quelques années plus tard, l'ouïe d'Ellie se fut considérablement développée par sa perte de vue. Bien plus que la normale. Dylan fut mis au courant des tristes événements et de la nouvelle faculté de sa fille et fit des recherches. Elles aboutirent à un certain manoir MacGee, au fin fond de l'Ecosse. Il revint à l'établissement pour la première fois depuis des années et traina de force Elizabeth à cet endroit pour qu'elle y réside, sans qu'elle puisse dire au revoir à Aedd qu'elle ne reverrait surement jamais. C'est le début d'une nouvelle vie ...